PSYCHANALYSE N° 7

La clinique psychanalytique contemporaine

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septembre 2006

THÉORIE

La sexion clinique. Érik Porge

Une pratique de bavardage.Talking cure. Par ces mots Bertha Pappenheim, alias Anna O., désigna dans les Évs 1880 cette nouvelle méthode de traitement, initiée par J. Breuer et qui allait prendre grâce à Freud le nom de psychanalyse. Quelque cent ans plus tard, en 1977, nous entendons Lacan au début de son séminaire Le moment de conclure dire que la psychanalyse est une “pratique de bavardage”. Le rapprochement de ces deux énonciations est d’autant plus saisissant que tant d’événements de tous ordres se sont passés entre-temps.

La simplicité, voire la trivialité, du propos de Lacan, à la fin d’un enseignement si fécond, ne laisse pas de surprendre. C’est de l’écart et du recoupement de ces dires que je pars pour interroger ce qu’il en est de la clinique psychanalytique et de sa transmission

La possibilité d’une psychanalyse ? La solution Houellebecq. Marie-Jean Sauret

La lecture de La possibilité d’une île m’a à la fois retenu et laissé perplexe : retenu parce que l’auteur y analyse avec précision la subjectivité de notre époque et extrapole son destin ; laissé perplexe devant les conséquences qu’en déduit l’auteur sur le lien social présent et à venir. La volonté d’éclairer cette impression complexe est à l’origine de cet article : on n’y trouvera donc pas une critique exhaustive de l’ouvrage.

Le mouvement « queer » : des sexualités mutantes ? Pascale Macary-Garipuy

Si le post-modernisme est un signifiant à manier avec précaution, pour ce qu’il en est du mouvement queer, il s’impose, tant le sujet qu’il met en scène se trouve sans l’appui de l’Autre et orphelin de toute transmission. Le discours de la science, le capitalisme, les systèmes de représentativités démocratiques du Nord promeuvent l’individu au détriment du sujet, qui se trouve emporté vers des terres inconnues quant aux modes de consommation, de sexualité, de rapport à l’autre. Le corps, ses représentations, son usage – y compris dans les transformations qui lui sont imposées – est bien sûr central dans cette mutation puisqu’il est le lieu de la jouissance : deux thématiques à la fois centrales et problématiques des théories queers.

Le mouvement queer, mouvement parce qu’il s’enracine, en ses formes savantes, dans la littérature et sa critique, l’esthétique, la philosophie, la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, se situe dans cette translation qui va d’une modernité dépassée vers des lendemains vertigineux. Le mouvement, la translation, la mutation sont des signifiants utilisés abondamment par les théoriciennes du queer, pour parler des sujets “queerisés”, faisant du même geste de ces sujets les incarnations paradigmatiques de ce monde sans garantie d’aucun Autre.

Du délire dans les Bacchantes d’Euripide. Geneviève Morel

Du délire dans Les Bacchantes d’Euripide .Rappelons-le en ces temps contemporains où les religions, dit-on, marquent des points : pour Freud, la religion est apparentée au délire. Certes, il amène cette thèse à propos du monothéisme, et il la tempère en remarquant que tout délire, même psychotique, a un noyau de vérité. Cependant, son affirmation, dont il faut rappeler la force, concerne en fait le caractère délirant de toute croyance religieuse, en tant que la conviction qu’elle recèle nécessairement plonge ses racines dans l’infantile. Elle s’étend aussi de ce fait – mais c’est un tout autre problème -, à la conviction obtenue à partir des constructions dans l’analyse.

La radicalité de cette affirmation freudienne revient en mémoire lorsqu’on lit Les Bacchantes d’Euripide […]

Lettre à Geneviève Morel. Jean Bollack

La non-reconnaissance par Penthée est essentielle à la pièce. Ce n’est pas une faute qui explique un “châtiment”. Il meurt pour la gloire de Dionysos.

Le double : dramatiquement, le dieu se travestit pour pénétrer en homme dans le domaine humain. Il n’est pas un double divin. Il se dédouble dramatiquement, comme le lui permettent ses ressources illimitées. 

L’ASSOCIATION

La psychanalyse au Japon. Entretien avec Kosuke Tsuiki

Psychanalyse : Quand et comment l’œuvre de Freud a-t-elle été introduite au Japon ?

Kosuke Tsuiki : Avant de répondre à vos questions, je vous remercie d’abord pour m’avoir fourni cette occasion, je dirais ravissante, de faire une contribution à votre revue toujours savoureuse. Roland Barthes distingue quelque part deux types de question. Question tragique : que suis-je ? Question comique : suis-je ?…

LA PASSE

L’expérience de la passe. Pierre Bruno

Il y a la cure. On s’imagine savoir ce que c’est. Quelqu’un est allongé. Quelqu’un est assis derrière. Je considère qu’une psychanalyse a commencé quand Freud a renoncé à imposer ses mains sur la tête du patient ou de la patiente pour l’aider à se souvenir. “Imposer”, voilà le mot-clé. La psychanalyse renonce à imposer. C’est pourquoi j’ai choisi comme exergue ce vers de François Villon : “Puissant je suis sans force et sans pouvoir.” La seule qualité qu’on puisse exiger d’un(e) psychanalyste est qu’il consente à être réduit, à la fin de la cure, à “un signifiant quelconque” après avoir été, à son début, sorti de l’anonymat et élu comme nom propre. Untergang (déclin, chute, disparition) du psychanalyste comme réalisation d’une psychanalyse.

Il y a la passe. La passe de Freud est d’avoir banni l’imposition des mains sur la tête du patient, qu’on appelle aussi “passe” dans ma langue et qui est le contraire de la passe inventée par Lacan en 1967. Celle-ci est une expérience, distincte de la cure. Sa condition : celui ou celle qui s’y engage doit être analysant(e) ; la passe n’a de sens qu’à questionner l’expérience de la cure. La passe est un dérangement (au sens où on parle de perturbation d’une ligne téléphonique ou d’interruption d’une tâche en cours) de la cure.

La cheville ouvrière de la passe. Fabienne Guillen

Au moment de me mettre au pied du mur d’essayer de dire quelque chose de cette expérience de passeur que je viens de vivre pendant à peu près trois ans à l’APJL, c’est spontanément cette expression qui m’est venue en tête. Petite pièce située entre le passant et le cartel de la passe, je n’ai pas trouvé d’autre expression pour faire résonner le sentiment de responsabilité, le caractère laborieux de cette tâche en double aveugle, la solitude et le vide que rencontre le passeur dans sa fonction dus à l’absence de toute référence théorique et identificatoire. J’ai été amenée par le sort à écouter cinq passes et à devoir en témoigner devant le cartel de la passe. J’avais pourtant en 1992 participé au dispositif de la passe au sein de l’ECF en tant que passante, mais, malgré l’importance cruciale et inoubliable que cette expérience avait eu dans mon parcours analytique, cela ne m’avait pas permis de saisir comme j’ai pu le faire dans cette récente replongée dans ce dispositif complexe le caractère singulier de cette invention de Lacan pour tenter de nouer intention et extension, c’est-à-dire faire passer de l’individuel au collectif ce savoir acquis d’une psychanalyse, savoir dont Lacan soulignait lui-même qu’on ne peut pas s’entretenir. Il me semble que le tour de force qu’a opéré Lacan dans cette invention est d’avoir conservé dans ce passage au collectif l’essence même qui fait le nerf de la psychanalyse d’être une expérience de parole qui, venant forcément chatouiller la vérité, permet toujours quelque subversion du savoir déjà là et laisse ses chances aux surprises. Le travail du passeur se scande en trois moments :

–l’écoute du passant ;

–la construction du témoignage ;

–la transmission de ce témoignage au cartel de la passe.

Clinique de la passe. Elisabeth Rigal

Pourquoi un tel titre ? La passe porte l’inscription de moments douloureux pour les mouvements psychanalytiques. La réflexion de Lacan “c’est un échec” et les crises répétées peuvent induire que nous sommes au chevet d’une grande malade. Point de butée pour la psychanalyse ?

Je vais vous proposer deux postulats que je vais essayer d’articuler de façon clinique en liaison avec ma cure, l’expérience de la passe et du cartel de la passe.

Une clinique de la passe pourrait être une tentative de dégagement de l’échec, du risque d’échec. Avec un point de visée : une politique de la passe pour se dégager d’une passe politique dont nous savons les désastres. C’est me semble-t-il une condition pour qu’un savoir puisse s’élaborer à partir des passes. Savoir qui relèverait alors plus de l’invention que du dogme, du discours analytique plus que de l’universitaire. Tentative à renouveler encore et encore.

Le second postulat est de mettre au centre de la réflexion une question : qu’est ce qui fait décision pour l’analysant, les passeurs, le cartel de la passe ? Poser cette question également côté passeur peut paraître incongru, mais elle se fonde sur le fait qu’une passe n’est pas portée de la même façon par les deux passeurs : un, fait que ça passe, passe avec, pas les deux : c’est un fait d’expérience, mais est-ce une loi ? Je ne sais pas. De toutes façons, c’est une question de rencontre (ça s’est passé) et d’entrée ou pas dans le discours analytique à partir de cette passe-là.

INÉDIT

Note au lecteur.

En 1957, à Paris comme correspondant d’un journal colombien, Gabriel Garcia Marquez écrivit Pas de lettre pour le colonel. La situation de violence que le pays vivait à cette époque détermina la suspension temporaire du journal. L’écrivain attendait avec impatience, jour après jour, l’envoi de son salaire. Cette situation et celle de son grand-père, un vieux militaire qui avait participé aux guerres… 

Lettre au Colonel à qui personne n’écrit. Entre le journal et les comptes de l’Autre. Mario Bernardo Figeroa Muñoz

Bogota, le 5 novembre 1999

Cher colonel :

M’adresser à vous est sûrement une audace de ma part. Je me suis arrogé ce droit parce que j’ai fini par admettre, qu’au bout de ce temps long, si long que ce “… pas de lettre” est presque devenu votre nom. Mais, ne trouvant pas d’autre façon de donner libre cours aux inquiétudes qui m’envahissent au sujet des difficultés que traverse notre société colombienne et ma tentative de découvrir quelques lumières dans la littérature, dans les lettres colombiennes je me vois contraint de vous écrire cette lettre.

Là, mon colonel, votre histoire occupe une place importante, étrange de surcroît, car la façon dont vous y avez pris place fut celle d’une absence… celle de l’écrit qui manque, qui n’arrive pas, celle de l’attente infinie qui empêcha, l’un de ces innombrables vendredis, l’arrivée dans votre village de la correspondance si désirée. 

FREUD

Visite à Freud. Robert de Traz

Notre éminent correspondant et collaborateur, M. Robert de Traz, directeur de la Revue de Genève, a bien voulu nous envoyer le récit de la visite qu’il vient de faire au professeur Freud, à Vienne, et dont nous n’avons pas besoin de souligner tout l’intérêt.

Le professeur Sigismond Freud habite, à Vienne, au bout d’une rue en pente, dans un appartement simple d’aspect, où il vous reçoit rapidement, entre deux consultations. Le plus simple, pour bien l’interroger, serait de prétexter une névrose : en faisant “psychanalyser”, à l’instar des Anglais et des Américains, qui y recourent en masse, on apprendrait beaucoup de choses sur le freudisme. Mais trop honnête pour simuler un trouble que je n’aurais d’ailleurs pas avoué, j’eus avec lui un entretien court et gai.

Car cet homme qu’on imaginerait, d’après certains de ses commentateurs, bizarre et prophétique, témoigne au contraire d’une charmante bonhomie.


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